Charles Onana, « La France et ses tirailleurs ». « La France et ses tirailleurs ». Un sujet pour le moins d’actualité auquel le journaliste Charles Onana a consacré un livre qui a nécessité trois ans de recherche. Interview complémentaire de celle qu’Afrik avait déjà réalisée en juin 2003, l’auteur nous révèle ici quelques vérités historiques étonnantes sur l’apport capital de l’Afrique à l’armée française de libération.
Propos recueillis par John Dossavi
Sans l’Afrique et les Africains, il n’y aurait jamais eu d’armée française de libération. C’est ce que prouve et révèle le livre de Charles Onana La France et ses tirailleurs. Un travail de mémoire de longue haleine où le journaliste a exhumé des archives militaires quelques vérités historiques dont l’Afrique devrait absolument savoir et enseigner. Comment notamment le rôle clé du Guyanais Félix Eboué dans la mobilisation du Continent.
Combien de temps a nécessité votre travail de recherche ?
Charles Onana : Je suivais la difficulté pour beaucoup de tirailleurs de l’armée française d’obtenir leur pension comme tous leurs camarades français de la seconde guerre mondiale. Je me posais tellement de questions que j’ai décidé d’enquêter. Cela m’a pris trois ans pour parcourir les archives françaises. J’ai accumulé beaucoup de pièces importantes. J’ai pu obtenir une partie des archives du Général Leclerc, une partie des archives du Général de Gaulle, qui montre que le rôle des Africains a été décisif, sinon déterminant, dans la résistance et la libération de la France.
Comment le Général de Gaulle a-t-il fait pour mobiliser l’Afrique à la cause de la France libre ?
Charles Onana : Dès juin 1940, lorsque le Général de Gaulle lance son appel du 18 juin, la France est sous occupation allemande et le Général est sans territoire puisqu’il est réfugié à Londres. Il n’avait pas non plus d’armée, alors il s’est tourné vers l’Afrique. Il a demandé à Félix Eboué, qui était alors gouverneur de l’Oubangui-Chari [*] (l’actuelle République Centrafricaine, ndlr), de mobiliser l’ensemble de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) pour participer à la résistance. Lui-même était parmi les premiers résistants français en Afrique. Dès le 26 août 1940, il réussit à rallier le Tchad au Général de Gaulle. Il sera suivi du Cameroun, du Congo et de l’Oubangui-Chari. C’est ainsi que le Général a eu sa première assise territoriale pour démarrer la résistance. Il ne suffisait pas d’avoir un territoire, encore fallait-il avoir des soldats. C’est en AEF que le Général de Gaulle va avoir la première Armée de la résistance.
Félix Eboué a-t-il eu du mal à mobiliser les Africains à la cause française ?
Charles Onana : Félix Eboué n’a pas eu beaucoup de difficultés à mobiliser la résistance en Afrique. Si ce n’est du côté français. Beaucoup de Français ne comprenaient pas que de Gaulle fasse autant confiance aux Noirs, alors que beaucoup de Blancs étaient des colons en Afrique. L’avance de Félix Eboué est qu’il avait combattu ses compatriotes blancs en leur disant qu’ils ne pouvaient pas continuer à brutaliser et à violenter les Africains sous prétexte qu’ils faisaient partie de colonies. Il avait acquis un respect auprès des Noirs. Lui-même venait des Antilles (Guyane, ndlr) et savait ce qu’était la violence coloniale. Il a défendu l’administration coloniale sans adopter les pratiques coloniales. De Gaulle l’avait compris. Seul un Noir que les Noirs respectent peut mobiliser l’Afrique Noire à l’effort de guerre. Il avait besoin de beaucoup d’hommes et la seule personne qui pouvait les lui apporter, c’était Félix Eboué.
Quel était l’intérêt pour les Africains d’entrer en guerre auprès de de Gaulle ?
Charles Onana : Il a deux explications historiques. La première est que Mein Kampf, le livre d’Adolph Hitler, était un ouvrage dont le racisme n’est plus à démontrer et les Africains craignaient que les Allemands, qui prônaient la supériorité de la race arienne, se retrouvent en train de dominer le continent africain. Surtout qu’Hitler avait en projet à l’époque de faire de l’Afrique le réservoir de matières premières de la grande Europe qu’il voulait bâtir. L’autre explication est que les résistants gaullistes ont fait une propagande importante pour dire aux Africains que la France, la mère patrie, était menacée. Presque tous les Africains se sont sentis (presque) solidaires, liés historiquement à la France. Tous les Africains n’ont pas adhéré. Il y a beaucoup d’Africains qui ont été enrôlés de force dans l’armée française pour soutenir l’action du Général de Gaulle. Il y avait, par ailleurs, des engagements volontaires, ces derniers pensaient qu’en se libérant, ils libéreraient l’Afrique du joug colonial.
Combien d’Africains ont participé à la résistance française ?
Charles Onana : La résistance des Africains a été beaucoup plus importante que ce que disent les livres d’Histoire. De 1940 à 1942, les Africains étaient sur tous les fronts sur les territoires français. Les combats les plus violents qui se sont déroulés dans le Nord de la France ont été essentiellement menés par les Africains. Et c’est pareil dans le Sud de la France. Quand on parle de la libération de la Provence, il faut dire que 300 000 Africains ont participé au débarquement de Provence. Débarquement qui est l’un des plus importants avec celui de Normandie. C’est lui qui a permis la libération de la ville de Toulon et de Marseille. Quatre-vingt pourcents des effectifs étaient originaires d’Afrique, avant que les Américains et les Britanniques n’arrivent. Et ça tout le monde l’oublie, tout le monde l’ignore...
Qui a financé l’armée française de libération ?
Charles Onana : En juin 1940, le Général de Gaulle était pauvre, il fallait bien qu’il trouve l’argent quelque part. Donc la plupart des munitions ou des armes qui ont été achetées, l’ont été par les Africains qui cotisaient pour cela. Il y avait des collectes de fonds dans tous les pays du continent. Côte d’Ivoire, Congo, Cameroun, Mali, Togo etc. Lorsque j’ai pu consulter les archives et interroger un certain nombre de témoins, tout le monde reconnaît que tous étaient appelés à contribuer, devant des écoles, devant des églises, pour acheter des avions au Général de Gaulle, pour la France libre. Un pays comme le Cameroun a énormément contribué à cela par l’exploitation des mines d’or, de diamants, du caoutchouc. La Côte d’Ivoire a financé l’armée de libération par le cacao et le café, le Mali et le Sénégal par l’arachide... Toutes ses matières premières étaient vendues à la Grande Bretagne pour renflouer les caisses de la France libre.
Quelle a été la réaction du Maréchal Pétain, face au ralliement de l’Afrique à la cause du Général de Gaulle ?
Charles Onana : Le Maréchal Pétain était vraiment déçu. Parce qu’il ne souhaitait pas que l’empire entre en guerre puisqu’il avait signé l’armistice avec les Allemands. Lorsque le Général de Gaule a décidé de mobiliser l’Afrique pour entrer en guerre, le Maréchal Pétain a décidé, lui aussi, de résister pour empêcher que cela se fasse. C’est en cela que l’on assistera à la bataille de Dakar dès le 23 septembre 1940, où les forces françaises qui soutenaient le Maréchal Pétain se sont mobilisées pour empêcher que Dakar soit pris par les Britanniques et le Général de Gaulle. La bataille a été très dure. Elle a duré une semaine et a été la première défaite de la France libre. C’était un combat franco-français. En 1941, il y a également eu une bataille au Gabon qui était la seule poche de résistance à l’armée de libération en Afrique centrale.
Le Cameroun et le Togo étaient sous mandat allemand. Comment se sont déroulé les choses dans ces pays ?
Charles Onana : Pendant la guerre, le Cameroun et le Togo étaient effectivement sous mandat allemand, mais ils avaient un avantage : ils parlaient français. La propagande de la France libre a été très forte. C’est elle qui avait créé Radio Cameroun, elle a également soutenu, en partie, la radio togolaise. Ils faisaient passer la propagande suivante pour faire basculer les deux pays du côté de la France libre. Ils disaient aux Camerounais et aux Togolais : si les Allemands reprennent pied dans ce pays, ils utiliseront votre peau pour fabriquer des brodequins de militaires. Et le message passait.
Combien d’Africains sont morts pour la France libre en Afrique ?
Charles Onana : Il n’y a personne qui puisse donner des statistiques fiables des Africains morts sur le continent dans le cadre de la seconde Guerre mondiale. Les archives militaires sont elles même très approximatives sur ces chiffres. Beaucoup de grands résistants africains pensaient que la France allait être reconnaissante du fait de leur rôle dans sa propre libération. Ça ne s’est pas passé comme ça. Je pense que de Gaulle, comme beaucoup de Français de l’époque, ne pouvaient pas dire la vérité. Ils ne pouvaient pas dire qu’une bonne partie de la force de la France venait de l’Afrique. La France, qui ne s’est pas retrouvée dans le camp des vainqueurs, a bénéficié des voies africaines pour avoir une place de membre permanent au conseil de sécurité. Tout ça les Français ne voulaient pas le perdre. Perdre l’Afrique à ce moment là, c’était perdre les matières premières, la zone d’influence et le pouvoir politique qu’elle pouvait avoir sur la scène internationale. Leur objectif à l’époque était de créer une communauté française où les pays africains n’avaient qu’une faible autonomie. Cela a été quelque chose que beaucoup de leaders nationalistes africains ont combattu.
Toutes vos recherches ont dû vous coûter cher ?
Charles Onana : Cela a coûté beaucoup d’argent. Mais, en tant que journaliste, j’estime que c’était un peu mon devoir de faire en sorte que l’histoire africaine soit connue, non seulement de nous-mêmes mais aussi des nouvelles générations. Une histoire enfouie, dissimulée. Parce que si on ne comprend pas cette histoire là, on ne peut pas comprendre les injustices auxquelles les Africains sont confrontés aujourd’hui.
Le cas des pensions des anciens combattants s’inscrit comme une injustice flagrante ?
Charles Onana : En 1959, les autorités françaises ont adopté un texte qui cristallisait les pensions des tirailleurs. Ça veut dire que l’ensemble des tirailleurs de l’armée française ne pouvait plus toucher la même pension que leurs camarades blancs de l’armée française. On a transformé leurs pensions en indemnités à la tête du client. Le Malien ne pouvait pas toucher la même pension que l’Ivoirien, que le Togolais, que l’Algérien, le Marocain ou le Tunisien. Seul quatre pays ont échappé à la loi de cristallisation : le Sénégal, le Gabon, le Tchad et la République Centrafricaine. Pas pour longtemps, puisqu’une nouvelle loi en 1994, cristallisait-elle aussi le système de pension de ces quatre pays.
Quelle est la logique étatique de ces disparités de pension ?
Charles Onana : Pour le législateur, les pays devant accéder à l’indépendance, il n’était plus normal que ce soit la France qui gère les pensions de ces personnes. Au lieu d’arrêter de payer les pensions, l’hexagone a payé des pensions injustes et inégales. Ce que se demandent les tirailleurs c’est comment se fait-il, qu’après la victoire, les autorités françaises ont commencent à faire la distinction alors que sur les champs de bataille personne n’en faisait. C’est ce qui fait le plus de mal aux anciens tirailleurs que j’ai interrogés.
La cristallisation des pensions repose-t-elle finalement sur de quelconques arguments défendables ?
Charles Onana : Ce texte n’est fondé ni sur un argument intellectuel sérieux, ni sur des arguments juridiques valables et encore moins sur des arguments historiques plausibles. Je ne comprends pas pourquoi une telle loi inique puisse continuer à persister jusqu’à aujourd’hui. Il y a eu ce qu’on a appelé la loi rectificative 2002, qui prévoyait une revalorisation de 20% de ces pensions. Même cette loi est arbitraire. En 2001, le Conseil d’Etat, la plus haute institution administrative française avait donné raison à Amadou Diop, un ancien combattant du Sénégal, qui avait porté plainte contre l’Etat français. Il a gagné son procès devant toutes les juridictions du pays. Toutes ont reconnu que monsieur Diop était français et que sa pension devait être payée comme celles des anciens combattants blancs français. Malheureusement, il est mort avant de voir la victoire de son combat. Malgré tout les autorités françaises n’ont pas payé à sa veuve la pension de réversion. Pire, elles ont considéré que les épouses n’étaient pas françaises, ce qui était contraire à la décision prise par le Conseil d’Etat.
Que peut faire aujourd’hui l’Afrique et les Africains contre le scandale des pensions des tirailleurs ?
Charles Onana : Les armes sont nombreuses. L’Afrique peut faire aujourd’hui pression sur les autorités françaises. Il y a beaucoup d’associations en Afrique qui doivent se saisir du dossier. La société civile doit se mobiliser. Ils doivent écrire massivement aux autorités françaises, à leurs dirigeants. Les intellectuels doivent enseigner aux jeunes qu’il se passe des injustices qui sont inacceptables. Même les Français qui se sont battus avec les tirailleurs se sont mobilisés pour que ça change. Ils le disent eux-mêmes : « Quand nous étions au front, il n’y avait pas de Blancs, ni de Noirs, nous étions tous les mêmes. Et on ne comprend pas que la République française ne reconnaisse pas cette égalité ».
Les dirigeants africains vous ont-ils soutenu dans votre travail et votre combat ?
Charles Onana : J’ai enregistré au moins un soutien important, celui du Président sénégalais Abdoulaye Wade. Il a pris un certain nombre d’initiatives, notamment en demandant qu’une loi puisse passer à l’assemblée pour soutenir les tirailleurs de l’armée française. Il a également demandé que la journée du 23 août, qui correspond à la libération de Toulon et de Marseille, puisse être célébrée par la plupart des pays africains qui ont envoyé des combattants dans l’armée française. Tout cela est encore insuffisant. Il faut qu’il y ait un changement fondamental dans les manuels scolaires pour que cette histoire soit étudiée par les Africains. Pour que les étudiants puissent faire des mémoires et des thèses sur le sujet afin qu’ils sachent que le rôle des Africains a été très important dans l’armée de libération du Général de Gaulle et de la France libre.
Afrik
Sans l’Afrique et les Africains, il n’y aurait jamais eu d’armée française de libération. C’est ce que prouve et révèle le livre de Charles Onana La France et ses tirailleurs. Un travail de mémoire de longue haleine où le journaliste a exhumé des archives militaires quelques vérités historiques dont l’Afrique devrait absolument savoir et enseigner. Comment notamment le rôle clé du Guyanais Félix Eboué dans la mobilisation du Continent.
Combien de temps a nécessité votre travail de recherche ?
Charles Onana : Je suivais la difficulté pour beaucoup de tirailleurs de l’armée française d’obtenir leur pension comme tous leurs camarades français de la seconde guerre mondiale. Je me posais tellement de questions que j’ai décidé d’enquêter. Cela m’a pris trois ans pour parcourir les archives françaises. J’ai accumulé beaucoup de pièces importantes. J’ai pu obtenir une partie des archives du Général Leclerc, une partie des archives du Général de Gaulle, qui montre que le rôle des Africains a été décisif, sinon déterminant, dans la résistance et la libération de la France.
Comment le Général de Gaulle a-t-il fait pour mobiliser l’Afrique à la cause de la France libre ?
Charles Onana : Dès juin 1940, lorsque le Général de Gaulle lance son appel du 18 juin, la France est sous occupation allemande et le Général est sans territoire puisqu’il est réfugié à Londres. Il n’avait pas non plus d’armée, alors il s’est tourné vers l’Afrique. Il a demandé à Félix Eboué, qui était alors gouverneur de l’Oubangui-Chari [*] (l’actuelle République Centrafricaine, ndlr), de mobiliser l’ensemble de l’Afrique Equatoriale Française (AEF) pour participer à la résistance. Lui-même était parmi les premiers résistants français en Afrique. Dès le 26 août 1940, il réussit à rallier le Tchad au Général de Gaulle. Il sera suivi du Cameroun, du Congo et de l’Oubangui-Chari. C’est ainsi que le Général a eu sa première assise territoriale pour démarrer la résistance. Il ne suffisait pas d’avoir un territoire, encore fallait-il avoir des soldats. C’est en AEF que le Général de Gaulle va avoir la première Armée de la résistance.
Félix Eboué a-t-il eu du mal à mobiliser les Africains à la cause française ?
Charles Onana : Félix Eboué n’a pas eu beaucoup de difficultés à mobiliser la résistance en Afrique. Si ce n’est du côté français. Beaucoup de Français ne comprenaient pas que de Gaulle fasse autant confiance aux Noirs, alors que beaucoup de Blancs étaient des colons en Afrique. L’avance de Félix Eboué est qu’il avait combattu ses compatriotes blancs en leur disant qu’ils ne pouvaient pas continuer à brutaliser et à violenter les Africains sous prétexte qu’ils faisaient partie de colonies. Il avait acquis un respect auprès des Noirs. Lui-même venait des Antilles (Guyane, ndlr) et savait ce qu’était la violence coloniale. Il a défendu l’administration coloniale sans adopter les pratiques coloniales. De Gaulle l’avait compris. Seul un Noir que les Noirs respectent peut mobiliser l’Afrique Noire à l’effort de guerre. Il avait besoin de beaucoup d’hommes et la seule personne qui pouvait les lui apporter, c’était Félix Eboué.
Quel était l’intérêt pour les Africains d’entrer en guerre auprès de de Gaulle ?
Charles Onana : Il a deux explications historiques. La première est que Mein Kampf, le livre d’Adolph Hitler, était un ouvrage dont le racisme n’est plus à démontrer et les Africains craignaient que les Allemands, qui prônaient la supériorité de la race arienne, se retrouvent en train de dominer le continent africain. Surtout qu’Hitler avait en projet à l’époque de faire de l’Afrique le réservoir de matières premières de la grande Europe qu’il voulait bâtir. L’autre explication est que les résistants gaullistes ont fait une propagande importante pour dire aux Africains que la France, la mère patrie, était menacée. Presque tous les Africains se sont sentis (presque) solidaires, liés historiquement à la France. Tous les Africains n’ont pas adhéré. Il y a beaucoup d’Africains qui ont été enrôlés de force dans l’armée française pour soutenir l’action du Général de Gaulle. Il y avait, par ailleurs, des engagements volontaires, ces derniers pensaient qu’en se libérant, ils libéreraient l’Afrique du joug colonial.
Combien d’Africains ont participé à la résistance française ?
Charles Onana : La résistance des Africains a été beaucoup plus importante que ce que disent les livres d’Histoire. De 1940 à 1942, les Africains étaient sur tous les fronts sur les territoires français. Les combats les plus violents qui se sont déroulés dans le Nord de la France ont été essentiellement menés par les Africains. Et c’est pareil dans le Sud de la France. Quand on parle de la libération de la Provence, il faut dire que 300 000 Africains ont participé au débarquement de Provence. Débarquement qui est l’un des plus importants avec celui de Normandie. C’est lui qui a permis la libération de la ville de Toulon et de Marseille. Quatre-vingt pourcents des effectifs étaient originaires d’Afrique, avant que les Américains et les Britanniques n’arrivent. Et ça tout le monde l’oublie, tout le monde l’ignore...
Qui a financé l’armée française de libération ?
Charles Onana : En juin 1940, le Général de Gaulle était pauvre, il fallait bien qu’il trouve l’argent quelque part. Donc la plupart des munitions ou des armes qui ont été achetées, l’ont été par les Africains qui cotisaient pour cela. Il y avait des collectes de fonds dans tous les pays du continent. Côte d’Ivoire, Congo, Cameroun, Mali, Togo etc. Lorsque j’ai pu consulter les archives et interroger un certain nombre de témoins, tout le monde reconnaît que tous étaient appelés à contribuer, devant des écoles, devant des églises, pour acheter des avions au Général de Gaulle, pour la France libre. Un pays comme le Cameroun a énormément contribué à cela par l’exploitation des mines d’or, de diamants, du caoutchouc. La Côte d’Ivoire a financé l’armée de libération par le cacao et le café, le Mali et le Sénégal par l’arachide... Toutes ses matières premières étaient vendues à la Grande Bretagne pour renflouer les caisses de la France libre.
Quelle a été la réaction du Maréchal Pétain, face au ralliement de l’Afrique à la cause du Général de Gaulle ?
Charles Onana : Le Maréchal Pétain était vraiment déçu. Parce qu’il ne souhaitait pas que l’empire entre en guerre puisqu’il avait signé l’armistice avec les Allemands. Lorsque le Général de Gaule a décidé de mobiliser l’Afrique pour entrer en guerre, le Maréchal Pétain a décidé, lui aussi, de résister pour empêcher que cela se fasse. C’est en cela que l’on assistera à la bataille de Dakar dès le 23 septembre 1940, où les forces françaises qui soutenaient le Maréchal Pétain se sont mobilisées pour empêcher que Dakar soit pris par les Britanniques et le Général de Gaulle. La bataille a été très dure. Elle a duré une semaine et a été la première défaite de la France libre. C’était un combat franco-français. En 1941, il y a également eu une bataille au Gabon qui était la seule poche de résistance à l’armée de libération en Afrique centrale.
Le Cameroun et le Togo étaient sous mandat allemand. Comment se sont déroulé les choses dans ces pays ?
Charles Onana : Pendant la guerre, le Cameroun et le Togo étaient effectivement sous mandat allemand, mais ils avaient un avantage : ils parlaient français. La propagande de la France libre a été très forte. C’est elle qui avait créé Radio Cameroun, elle a également soutenu, en partie, la radio togolaise. Ils faisaient passer la propagande suivante pour faire basculer les deux pays du côté de la France libre. Ils disaient aux Camerounais et aux Togolais : si les Allemands reprennent pied dans ce pays, ils utiliseront votre peau pour fabriquer des brodequins de militaires. Et le message passait.
Combien d’Africains sont morts pour la France libre en Afrique ?
Charles Onana : Il n’y a personne qui puisse donner des statistiques fiables des Africains morts sur le continent dans le cadre de la seconde Guerre mondiale. Les archives militaires sont elles même très approximatives sur ces chiffres. Beaucoup de grands résistants africains pensaient que la France allait être reconnaissante du fait de leur rôle dans sa propre libération. Ça ne s’est pas passé comme ça. Je pense que de Gaulle, comme beaucoup de Français de l’époque, ne pouvaient pas dire la vérité. Ils ne pouvaient pas dire qu’une bonne partie de la force de la France venait de l’Afrique. La France, qui ne s’est pas retrouvée dans le camp des vainqueurs, a bénéficié des voies africaines pour avoir une place de membre permanent au conseil de sécurité. Tout ça les Français ne voulaient pas le perdre. Perdre l’Afrique à ce moment là, c’était perdre les matières premières, la zone d’influence et le pouvoir politique qu’elle pouvait avoir sur la scène internationale. Leur objectif à l’époque était de créer une communauté française où les pays africains n’avaient qu’une faible autonomie. Cela a été quelque chose que beaucoup de leaders nationalistes africains ont combattu.
Toutes vos recherches ont dû vous coûter cher ?
Charles Onana : Cela a coûté beaucoup d’argent. Mais, en tant que journaliste, j’estime que c’était un peu mon devoir de faire en sorte que l’histoire africaine soit connue, non seulement de nous-mêmes mais aussi des nouvelles générations. Une histoire enfouie, dissimulée. Parce que si on ne comprend pas cette histoire là, on ne peut pas comprendre les injustices auxquelles les Africains sont confrontés aujourd’hui.
Le cas des pensions des anciens combattants s’inscrit comme une injustice flagrante ?
Charles Onana : En 1959, les autorités françaises ont adopté un texte qui cristallisait les pensions des tirailleurs. Ça veut dire que l’ensemble des tirailleurs de l’armée française ne pouvait plus toucher la même pension que leurs camarades blancs de l’armée française. On a transformé leurs pensions en indemnités à la tête du client. Le Malien ne pouvait pas toucher la même pension que l’Ivoirien, que le Togolais, que l’Algérien, le Marocain ou le Tunisien. Seul quatre pays ont échappé à la loi de cristallisation : le Sénégal, le Gabon, le Tchad et la République Centrafricaine. Pas pour longtemps, puisqu’une nouvelle loi en 1994, cristallisait-elle aussi le système de pension de ces quatre pays.
Quelle est la logique étatique de ces disparités de pension ?
Charles Onana : Pour le législateur, les pays devant accéder à l’indépendance, il n’était plus normal que ce soit la France qui gère les pensions de ces personnes. Au lieu d’arrêter de payer les pensions, l’hexagone a payé des pensions injustes et inégales. Ce que se demandent les tirailleurs c’est comment se fait-il, qu’après la victoire, les autorités françaises ont commencent à faire la distinction alors que sur les champs de bataille personne n’en faisait. C’est ce qui fait le plus de mal aux anciens tirailleurs que j’ai interrogés.
La cristallisation des pensions repose-t-elle finalement sur de quelconques arguments défendables ?
Charles Onana : Ce texte n’est fondé ni sur un argument intellectuel sérieux, ni sur des arguments juridiques valables et encore moins sur des arguments historiques plausibles. Je ne comprends pas pourquoi une telle loi inique puisse continuer à persister jusqu’à aujourd’hui. Il y a eu ce qu’on a appelé la loi rectificative 2002, qui prévoyait une revalorisation de 20% de ces pensions. Même cette loi est arbitraire. En 2001, le Conseil d’Etat, la plus haute institution administrative française avait donné raison à Amadou Diop, un ancien combattant du Sénégal, qui avait porté plainte contre l’Etat français. Il a gagné son procès devant toutes les juridictions du pays. Toutes ont reconnu que monsieur Diop était français et que sa pension devait être payée comme celles des anciens combattants blancs français. Malheureusement, il est mort avant de voir la victoire de son combat. Malgré tout les autorités françaises n’ont pas payé à sa veuve la pension de réversion. Pire, elles ont considéré que les épouses n’étaient pas françaises, ce qui était contraire à la décision prise par le Conseil d’Etat.
Que peut faire aujourd’hui l’Afrique et les Africains contre le scandale des pensions des tirailleurs ?
Charles Onana : Les armes sont nombreuses. L’Afrique peut faire aujourd’hui pression sur les autorités françaises. Il y a beaucoup d’associations en Afrique qui doivent se saisir du dossier. La société civile doit se mobiliser. Ils doivent écrire massivement aux autorités françaises, à leurs dirigeants. Les intellectuels doivent enseigner aux jeunes qu’il se passe des injustices qui sont inacceptables. Même les Français qui se sont battus avec les tirailleurs se sont mobilisés pour que ça change. Ils le disent eux-mêmes : « Quand nous étions au front, il n’y avait pas de Blancs, ni de Noirs, nous étions tous les mêmes. Et on ne comprend pas que la République française ne reconnaisse pas cette égalité ».
Les dirigeants africains vous ont-ils soutenu dans votre travail et votre combat ?
Charles Onana : J’ai enregistré au moins un soutien important, celui du Président sénégalais Abdoulaye Wade. Il a pris un certain nombre d’initiatives, notamment en demandant qu’une loi puisse passer à l’assemblée pour soutenir les tirailleurs de l’armée française. Il a également demandé que la journée du 23 août, qui correspond à la libération de Toulon et de Marseille, puisse être célébrée par la plupart des pays africains qui ont envoyé des combattants dans l’armée française. Tout cela est encore insuffisant. Il faut qu’il y ait un changement fondamental dans les manuels scolaires pour que cette histoire soit étudiée par les Africains. Pour que les étudiants puissent faire des mémoires et des thèses sur le sujet afin qu’ils sachent que le rôle des Africains a été très important dans l’armée de libération du Général de Gaulle et de la France libre.
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